Circulez, il n'y a rien à voir  

 

Parution 24.11.2015 - Lettre 65

C’est dans les fractures et les dilemmes que posent la vie associative, support de nos publications que nous allons essayer de comprendre la part belle laissée aux plagieurs par tant de pairs tolérants ou complices. Dès son début de carrière, chacun rejoint une communauté associative, espace où se tissent les liens au sein de chaque discipline. Si leur rôle reste primordial à titre individuel et collectif, leur fonction a évolué. Dans nos communautés académiques, les rites quotidiens s’apprennent d'abord dans nos conférences : construire une recherche, analyser, présenter des résultats, argumenter, écrire pour un lecteur inconnu, répondre posément à des relecteurs anonymes, ne pas s’insurger du manque de rigueur d’un processus... Nos écrits aboutissent dans les revues produites par ces mêmes sociétés savantes.

 

• A.B. est maître de conférence de l'université X (France)

• C.D. est maître de conférence de l'université Y (Afrique du Nord)

• La revue ABC est française, la revue DEF est canadienne

 

Chronologie des faits

Nos commentaires

1) La découverte des faits 

A.B. découvre en 2008 qu’un article publié par C.D. dans la revue ABC (2007) emprunte des paragraphes importants à sa thèse de Master et à son article dans le journal DEF de l’association ASZZ (2007).

A.B. écrit à C.D. ces mots : « En l'absence d'une explication de votre part, rapide et convaincante, je me verrai contraint de signaler ces faits au rédacteur en chef de la revue ABC. »

1) Ne pas agir seul

Nous ne cessons de le répéter. Il y a des protocoles qui fonctionnent très bien.

 

Il ne sert à rien d’écrire directement au plagieur, car c’est se poster en seule victime et vouloir être juge et partie.

 • Avant tout lire le vade-mecum du plagié.

2) La réaction de C.D.  

C.D. répond : « Mon papier a été évalué par deux referees anonymes, qui ont apprécié ce travail et s'il y a vraiment de ressemblances ils m'auraient fait la remarque, et mon papier ne serait problement pas publié !

D'ailleurs, je me suis référée aux mêmes "citations" d'auteurs que ceux référés tout en soulignant leurs sources bibliographiques. »

2) Identifier le profil du plagieur

L’aplomb de C.D. nous semble relever d’une incompréhension des règles du jeu. Selon les profils que nous avons induits de nos travaux (chap. 3. Profils de plagieurs et le besoin de normes), C.D. a un comportement caractéristique du « tricheur ». Nous avions écrit : « Lorsqu’un plagiat important est reproché au tricheur, la bonne foi qu’il affiche est déconcertante et il semble ne pas en comprendre la gravité. Le tricheur est le plus commun de l’espèce des plagieurs… » (p. 132).

3) L’impasse

A.B. rétorque : «Votre réponse est assez surprenante. Vous ne semblez pas réaliser la gravité de la situation sur le plan professionnel. Je vous parle de paragraphes entiers qui sont exactement les mêmes. Non pas des citations d'autres auteurs, mais de paragraphes (mot pour mot) de mes travaux personnels… »

et C.D. de répliquer : «Je vous répète que mon papier a été évalué par deux évaluateurs de la ABC, et d'ailleurs un des referees dans son rapport m'a recommandé de se référer à certains de vos travaux de recherche et je répète pour la nème fois, s'il y a vraiment "'plagiat", automatiquement, le papier sera révisé, et vous savez très bien que les évaluateurs de toutes les revues, y compris celle de la XXX, disposent des logiciels pour vérifier s'il y a du plagiat ou pas. »

3) Une certaine lassitude

Le manque de transparence des processus de révision entretient un nombre de mythes extraordinaires.Comme celui des supers reviewers experts, si pointus qu'ils auraient lu tout ce qui est publié sur un sujet.

Quant aux logiciels de détection de similarités qui génèrent tout autant de mythes,  nous verrons dans un autre cas similaire quant à la mauvaise foi des plagieurs qu’ils sont bien rarement utilisés et très souvent détournés.

Faisons lire aux jeunes collaborateurs laxes se cachant derrière l'excuse " c'est la faute des autres" ceci :

Dépliant informatif sur la conduite responsable en recherche destiné aux étudiants et aux chercheurs

 

4) la formulation de la plainte

A.B. décide alors d’écrire séparément aux parties prenantes de ce cas, soit la revue ABC où figure l’article plagiaire, la revue DEF de l’association ASZZ.

 

4) Une lettre à plusieurs entrées

Nous suggérons plutôt une lettre en plaçant en copie toutes les parties prenantes, une fois celle-ci identifiées.

Ainsi, nous conseillons de placer en copie l’établissement où est employé le plagieur et son propre établissement. En effet, parce qu’il usurpe des publications, le plagieur peut se voir offrir des postes au détriment de chercheurs honnêtes et les institutions ont ensuite plus de difficultés à réagir pour rétablir l’équité.

 

5) La réaction de la ABC où figure l’article plagiaire

Le rédacteur en chef de la revue ABC répond aussitôt :

- « Le plagiat ne fait, malheureusement, plus guère de doute. C.D. devra assumer la responsabilité de ses actes. En ce qui nous concerne, nous cherchons une solution qui vous rétablirait dans vos droits et pénaliserait le fraudeur. Vous avez compris, je pense, que nous sommes victimes, comme vous, de cette fraude. »

- La revue ABC publie ensuite l’avertissement suivant dans son éditorial : « C.D. a copié-collé plusieurs paragraphes de trois productions distinctes sans pour autant y référer explicitement ou respecter les usages des citations. Cet emprunt illicite, qui a échappé aux évaluateurs, étant avéré, nous présentons nos excuses aux auteurs plagiés et nous stigmatisons les plagieurs. La revue s’engage à ne plus publier d’articles soumis par C.D. et à le lui faire savoir ».

 

5Enfin un éditeur déterminé   

Nous applaudissons à la rapidité de réaction. Tous les auteurs plagiés sont en grande souffrance. Leur répondre aussitôt est une preuve de respect envers les auteurs qu’ils sont et leur montre qu’ils sont écoutés.

De plus, nous notons que ce simple mot indique que son auteur se place bien dans une logique de la conséquence, contrairement au cas « Sanction et impossible oubli ». Il s’inquiète de la mesure de réparation.

 

6) La réaction de la DEF où figure un des articles plagiés

Le rédacteur en chef de la revue DEF où A.B. a publié son article, E.F., répond :

« Nous avons examiné très attentivement votre texte paru dans DEF en 2007. Nous l’avons comparé systématiquement à celui de C.D. paru dans ABC également en 2007 sous un titre quasi identique. Il y a indiscutablement eu plagiat et il porte en grande partie sur des éléments fondamentaux de la recherche en question. 

Cependant, comme les deux textes sont parus en 2007, nous ne pouvons présumer avec certitude que l’un de ces textes fut utilisé par l’autre pour réaliser ce travail de plagiat. En d’autres mots, nous ne pouvons affirmer avec l’assurance la plus complète que les droits d’auteur du texte paru dans la DEF ont été violés.

Par ailleurs, ce qui ne fait aucun doute, c’est qu’il y a eu plagiat et que le plagiaire est C.D., qu’importent le ou les documents sur lesquels elle a plagié.

Finalement, nous tenons à féliciter A.B. d’avoir dénoncé cette imposture et le remercier d’avoir transmis à la DEF tout le dossier sur cette triste histoire. Nous tenons aussi à féliciter chaleureusement la revue ABC de publier une note à ce sujet sous forme d’avertissement.

Nous scruterons évidemment très attentivement tout texte que C.D. pourrait éventuellement soumettre à DEF.

 

6) La clé du problème

Quiconque lit cette lettre au premier degré ne va rien comprendre : d’un côté ce rédacteur en chef reconnaît par deux fois que C.D. a plagié l’article publié dans la revue dont il est responsable et, d’autre part, il ne voit pas comment sa revue serait concernée.

En fait, ce rédacteur en chef est obsédé par l’aspect juridique de la preuve de l’antériorité, alors même que les deux articles sont parus la même année par le jeu du délai des dates de publication.

Contrairement au rédacteur en chef de la revue ABC, il raisonne selon une pure logique de la cause qui précède temporellement l’effet.

Il ne raisonne pas en termes de conséquences, ni pour la victime du plagiat qui est en état de souffrance, ni pour la communauté dont relève l’Association ASZZ. Et tout cela en allant même jusqu’à le féliciter d’avoir dénoncé une imposture. 

Il ne se place en aucun cas comme soutien de son auteur, qui va se sentir trahi. En effet la production d’articles dans une revue est bien une co-production d’auteurs, reviewers et rédacteurs en chef.

Lisez cet éditorial qui dénote d'une attitude de Rédacteurs en chef à 180 degrés de celle-ci : Ethique et recherche

  Ici l’amorce d’un souci de surveillance de C.D. est amorcée. mais nous verrons qu'il n'en sera rien.

7) La surprise du plagié

En 2015, A.B. écrit à G.H. ?Président du Comité de déontologie de l’ASZZ, association scientifique qui produit le journal DEF :

 « Je vous avoue que ce cas continue à me tourmenter, car je me rends compte que malgré mes efforts pour dénoncer ce plagiat, C.D. continue à publier le plus normalement. Y compris dans DEF, revues où il a puisé une partie de l'article plagié.

Vous comprendrez donc ma surprise et ma déception… Je m'étais arrêté à l'engagement de la revue de le faire avant publication, et cela au-delà du travail "normal" des évaluateurs. »

 

 7) Un problème associatif

Nous retrouverons quelques années après G.H. et l’ASZZ dans le cas « Sanction et impossible oubli » et nous verrons une évolution notable.

Le problème des victimes est que les associations scientifiques sont verrouillées et qu’il est impossible de comprendre les raisons qui dictent leurs pratiques.

Pour A.B. le comportement plagiaire de C.D. n’a pas trouvé de réponse adaptée. Il demande logiquement des explications.

8) Réponse du Président du Comité de déontologie 

G.H. s’exprime ainsi :

 « Je suis très heureux de voir votre préoccupation pour les questions d’ordre éthique et déontologique. Ces questions sont importantes et les soulever contribue à donner de la crédibilité et de la fierté à notre communauté de chercheurs.

Dans le cas présent, j’ai constaté que E.F., qui était rédacteur en chef de DEF à l’époque, écrit dans son courriel qu’étant donné que « nous ne pouvons être absolument certains que C.D. ait fait preuve d’inconduite envers DEF, il serait inapproprié de lui interdire de publier à l’avenir dans DEF ».

E.F. avait écrit dans son courriel de 2009 : « Nous scruterons évidemment très attentivement tout texte que cette dernière pourrait éventuellement soumettre à DEF. » Cette information à propos d’une attention particulière à accorder à toute soumission de C.D. n’a pas été transmise à la nouvelle équipe de rédaction qui a pris la relève.

Quoi qu’il en soit, cher collègue, n’hésitez surtout pas à formuler une plainte officielle si le texte de C.D. publié dans la DEF vous semblait problématique sur le plan de la déontologie en fonction de notre code d’éthique et de déontologie. Nous l’examinerions alors très attentivement.

8)  Répondre c’est d'abord écouter

 

C’est surtout des préoccupations très pragmatiques qui animent les victimes de plagiat, en bref : « Qu’avez-vous fait pour prévenir que le plagiat ne se reproduise ? »
 

E.F. n’avait pas pris ce cas au sérieux et n’avait même pas fait une note de service pour ses successeurs.

G.H. est bien embarrassé. Que peut-il faire si ce n’est reprendre l’argument fallacieux de E.F., rédacteur en chef de DEF à l’époque des faits.

E.F. est un honnête homme qui reconnaît la faille en toute franchise.

 

 

Nous ne pouvons accepter que l’on demande à des victimes de se transformer en contrôleur à la place des reviewers et rédacteurs en chefs. 

9) Insister c’est se faire retoquer

A.B. insatisfait dde la réponse qui ne traite pas du fond du problème répond à G.H.:

« Me concernant, l'idée n'est pas de polémiquer ni de ré-ouvrir un dossier que je considère également comme clos. J'avais juste  signalé que C.D., condamnée pour plagiat par ABC, avait publié dans DEF. Je voulais vérifier que sa soumission avait été examinée attentivement comme s'était engagée à le faire la revue DEF de manière explicite. Je n'ai aucune intention de déposer une nouvelle plainte ni d'examiner le nouvel article de C.D. »

Et la réponse de G.H. ne se fait pas attendre :

« Cher collègue, ce dossier a déjà été examiné dans son ensemble depuis longtemps. E.F. y a répondu très explicitement il y a plus de cinq ans... Si vous avez une nouvelle plainte à formuler, on verra si elle est recevable et, le cas échéant, on l'examinera. Mais en attendant, en ce qui me concerne, le dossier est clos. »

9) Circulez, il n’y a rien à voir

 

Ce n’est pas de l’acharnement contre C.D. – il le dit – il veut simplement savoir si des leçons ont été tirées de cet épisode.

 

 

 

 


On peut comprendre que G.H. soit énervé de cette insistance, mais on peut aussi comprendre que la question de A.B. est simple : "Puis-je avoir confiance en vous ?La lecture du cas "La sanction et l'impossible oubli" lui fournit une partie des réponses…

(A SUIVRE)