Parution 01.06.2014  - Lettre 55

Plus c'est lourd, plus ça passe ; ou ça casse

 

Voici un cas qui dure depuis un certain temps et  qui nous a été soumis de manière argumentée en 2013. Comme il s'agissait d'un cas "lourd", nous avons procédé comme nous le faisons depuis dix ans maintenant dans ce type de situation : en prenant des précautions et du temps.

Pourquoi est-ce un cas "lourd" ? Parce que le/a présumé/e plagieur/seuse est actuellement vice-président/e recherche d'une université de plus de 18' 000 étudiants. Il/elle est professeur/e de classe exceptionnelle en France. 

Notre propos n'ayant jamais été la "chasse au plagieur", mais bien la compréhension d'un phénomène qui touche notre société académique, nous avons pris soin de travailler de manière factuelle sans identification des acteurs. Voir notre Méthode des cas

Dès lors, nous avons appliqué strictement les procédures que nous préconisons pour l'instruction d'un dossier sensible.

a - Trouver des experts de la discipline qui soient d'accord pour conduire une analyse détaillée de documents.

b -  S'assurer qu'ils se plient à nos processus d'investigation. Dans ce cas ce fut facile, car la discipline relevant de l'histoire, tous les chercheurs ont les compétences pour conduire des analyses de texte et pour retrouver les sources.

c - Donner à un expert une publication récente (voir ci-dessous analyse 1) afin d'analyser le mode opératoire. Rappelons que les plagieurs ont toujours le même mode opératoire, relevant des profils de délinquants que nous avions identifiés. Or, la lecture de ce premier rapport d'analyse portant sur un texte de 2010 nous a conduit à suspecter que nous étions en présence d'actes assez répétitifs et non isolés.

d - Nous avons donc demandé à un de nos expert d'identifier un ancien document pour vérifier que nous retrouverions bien des indices d'habitudes, comme nous l'avons proposé dans nos analyses. L'analyse 2, voir ci-dessous, porte sur un document de 1994, correspondant à une pièce majeure du dossier d'HDR. Cette deuxième analyse, indépendante, identifia environ 40% de plagiat avec une assez grande proportion de reprises intégrales d'éléments non reliés à leur origine, alors même que le Web commençait à s'ouvrir largement.

e - Il ne restait plus dès lors qu'à identifier l'évolution du mode opératoire au cours du temps, ce qui fut réalisé avec l'analyse d'un chapitre de livre publié en 2005 (analyse 3). A ce point, le copié-collé se transforme de plus en plus en paraphrase, non identifiable par les logiciels de détection habituels. Le copié-collé cotoie, semble-t-il, la paraphrase.

f - Une fois l'analyse reçue des experts, il s'agit de la valider auprès d'un spécialiste de la thématique. D'une part, au niveau du choix des écrits, d'autre part au niveau de la conformité des éléments retenus par les experts. Il apparait que, parmi les productions qui jalonnent un cheminement en 20 ans, le choix a été fait d'articles ou de livres importants pour la carrière d'un universitaire historien en France, et dont le référencement était le plus important possible. Les élémenst factuels retenus parurent probants. Seule la quantité exacte de texte posant problème restait à déterminer.

g - L'étape suivante consiste à soumettre les éléments réunis par nos experts à la lecture de la communauté scientifique concernée - ici l'histoire - afin que chacun puisse se faire une opinion, compléter les données, réagir. Ainsi en est-il de notre méthode de travail interactionniste. Bien entendu, pour éviter toute partialité, nous avons demandé que la très grande majorité des actifs de cette discipline des quatre principaux pays francophones (France, Suisse, Belgique, Québec) reçoivent notre courrier (Lettre 55) et pourraient constater le sérieux des expertise et à leur tour analyser ce cas. L'inscription est, à cet effet, libre depuis 2004 (la désinscription aussi bien sûr). C'est le fondement même de notre philosophie collaborative. 

Voir le lien : Pour vous inscrire ou inscrire un ami

 

Conclusion provisoire : Si l'ordre académique n'est ni un ordre médiatique, ni juridique, ni éditorialiste, comme nous ne cessons de le dire, l'ordre académique restera toujours fondamentalement soumis à l'évaluation par les pairs. Ainsi, la personne a été rapidement limogée du poste de responsabilité qu'elle occupait dans son établissement, mais elle en reste professeur.

• Espérons que la communauté des historiens se saisira de ce cas pour mettre en place des dispositifs qui permettent désormais de traiter de cas similaires. Nous leur recommandons, à ce propos, le travail effectué par les chercheurs de la SFM et FNEGE en France. Toutes les associations scientifiques relevant de la section 06 du CNU y ont adhéré.

• Espérons également que les universités se doteront toutes d'un processus interne d'analyse des cas de manquement à l'intégrité, et que ces instances effectueront un travail rigoureux. La promulgation de codes précis et de véritables processus de traitement permettent de réaliser un travail similaire à celui conduit ci-dessous, dans le plein respect des différents protagonistes.

 

_________________________________________________________________________________________________________________________

RAPPORTS D'EXPERTISE

_________________________________________________________________________________________________________________________

Analyse 1 : Publication récente (2010)


Cet extrait est issu de la publication d'un colloque (2010), lui-même dirigé par l'auteur. Cet article, même s'il est peu référencé, est l'une des productions les plus significatives de leur auteur pour la période récente. 

Cette production montre une évolution du mode opératoire par rapport aux travaux ci-dessous : si les paraphrases restent très nombreuses (du corps du texte comme des notes), leur sont adjointes des traductions littérales de l'italien. Les appels de note ne sont pas placés correctement, sauf pour l'un des paragraphes analysés.

Documents soumis à l'analyse :

• Texte surligné avec indication des sources 

• Analyse comparative avec sources de copies 

• Références bibliographiques indexées 

• Texte intégral avec analyse partielle des copies 

_________________________________________________________________________________________________________________________


Analyse 2 : Chapitre d'un livre de référence en histoire (1994)


Cette production a pour mode opératoire de réaliser des copies littérales et sans guillemets. Les oeuvres plagiées repérées sont le plus souvent citées, mais ailleurs que dans la partie plagiaire.

Il s'agit d'un chapitre d'un livre qui a fait date dans la spécialité, publié chez un éditeur scientifique reconnu dans la profession. Parmi les écrits de l'auteur, celui-ci est sans doute le plus référencé au niveau international.

L'analyse par logiciel de détection des similitudes montre environ 40% de reprises, sans toutefois garantir que d'autres sources, non numérisées, n'ont pas été recopiées et ne seraient donc pas décelables par ces logiciels.

 

Documents soumis à l'analyse :

Texte surligné avec indication des sources 

Analyse comparative avec sources de copies 

Références bibliographiques indexées 

Texte intégral avec surlignage partiel des copies 

______________________________________________________________________________________________________________________

Analyse 3 : production intermédiaire  (2005)


Ce livre de 2005 (dont le chapitre 1 est ici analysé) est, en France, l'une des productions les plus lues et utilisées sur le sujet précis qu'il traite, très bien référencé au niveau national, encore aujourd'hui. Il s'agit en outre de la publication d'un mémoire inédit qui a constitué la pièce essentielle pour l'obtention du diplôme d'Habilitation à Diriger des Recherches, qui permet d'accéder au grade de professeur des universités en France.  

Cette production montre une évolution du mode opératoire : aux copiés-collés s'ajoutent des paraphrases très proches des sources plagiées. Elles préludent de ce que seront les écrits à partie des années 2010.

Sont aussi reprises les notes et les références textuelles du texte plagié, ajoutées comme si l'auteur était lui-même retourné à la source, ce qui permet de masquer encore davantage le plagiat. Le texte plagiaire est ainsi composé d'une mosaïque de sources plagiées, placées dans un désordre qui brouille l'origine des différents textes plagiés. Les citations ne sont, à nouveau, pas placées à bon escient dans le corps du texte plagiaire. 

Documents soumis à l'analyse :

Texte surligné avec indication des sources 

Analyse comparative avec sources de copies 

Références bibliographiques indexées 

Texte intégral avec analyse partielle des copies