Éthique et recherche

Éthique et recherche 

Parution 8.07.2015 - Lettre 63

Télécharger : ÉDITORIAL de Nicolas Berland,Vedran Capkun , Charles Piot

Association francophone de comptabilité | « Comptabilité - Contrôle - Audit » 2015/1 Tome 21 | pages 7 à 9

Reproduit avec la gratieuse autorisation des auteurs.

Nous reproduisons ci-dessous la majeure partie de l'éditorial que nous avons hésité à intituler "Et un, et deux et trois zéro" tant il semble qu'un comportement déviant en entrainne un deuxième, puis un troisième et aini de suite. 

 

"La pression à la publication conduit à des comportements parfois non conformes à l’éthique.

Le plagiat, en particulier, devient une véritable plaie…

… Certains cas sortent de l’ordinaire. Nous avons eu à instruire au sein de CCA un cas peu banal récemment qui soulève plusieurs problèmes très originaux.

Un auteur de CCA nous a contactés pour nous signaler que son article avait été plagié dans une revue américaine, bien cotée dans le classement du CNRS (quelle reconnaissance pour CCA !). Deux auteurs français (l’un issu d’une université et l’autre d’une petite école de commerce, qui publie beaucoup comme son directeur a tenu à le souligner récemment dans la presse) ont publié un article reprenant une part très substantielle (60 à 70 %) de l’article CCA, traduite en anglais mots pour mots. A priori, cela n‘est pas détectable par la revue. Là où le bât blesse c’est qu’une fois l’article passé au détecteur anti-plagiat, il montre que deux autres pages de l’article (en plus de la traduction de CCA) viennent d’une revue américaine, chose qui aurait pu être détectée par la revue ayant publié l’article. Mais bon !

La partie de l’article CCA reprise et traduite n’a pas fait l’objet d’une copie servile. Les données composant l’article ne sont pas les mêmes que celles de l’article de CCA. C’est comme si l’article de CCA avait servi de template pour l’écriture d’un autre article s’appuyant sur des données différentes : les conclusions ayant été légèrement adaptées aux nouvelles données chiffrées alors que parallèlement toute la structure de justification, un élément clé d’un article de recherche, provenait de la version publiée dans CCA. Il est même permis à ce stade de douter des données elles-mêmes.

Le cas a aussi été soumis à la commission plagiat de la FNEGE car il ne s’agissait pas d’un plagiat interne à CCA, cas pour lesquels l’AFC a mis en place une commission éthique. La FNEGE a reconnu le problème et a donné droit aux auteurs et à CCA. À toutes fins, disons-le tout de suite, cette pratique n’est pas acceptable. Il est important de le rappeler puisqu’un des auteurs nous dit qu’il ne savait pas que cela n’était pas acceptable. Les réactions des différentes parties prenantes sont intéressantes.

L’un des auteurs nie les faits puis finit par faire amende honorable en expliquant qu’il ne pensait pas mal faire. Errare humanum est… Pour l’autre auteur, la réaction est plus intéressante. La réponse fut d’abord un long silence, puis « je n’ai écrit qu’un bout de l’introduction et de la conclusion, voyez mon co-auteur ». Faut-il rappeler que vous vous engagez dès lors que vous signez ? Comment faut-il interpréter une telle pratique ? Quel est l’intérêt d’accepter un co-auteur aussi peu productif ? À tout le moins cela soulève des questions en termes d’évaluation de la recherche et de ses acteurs.

Le directeur de la recherche de l’École a réagi vivement en menaçant d’attaques en diffamation. L’argument était que la revue américaine, questionnée sur le sujet, n’avait rien trouvé à redire à l’affaire. L’École prendra-t-elle des mesures à l’égard de chercheurs qui entachent sa réputation ?

Nous ne ferons qu’évoquer les douces pressions reçues de collègues soucieux de nous éclairer.  Si certains l’ont fait avec beaucoup de tact et de pertinence puisqu’il était de l’une des institutions d’appartenance des chercheurs, d’autres ont été un peu étonnants, s’immisçant dans une affaire où on ne les attendait pas. Nous nous demandons toujours pourquoi ? La revue est aussi un cas intéressant. Elle ne détecte pas de plagiat et ne voit rien à redire au cas quand il lui est soumis. Il faut dire qu’elle accepte beaucoup d’articles issus de l’un des protagonistes de cette affaire (14 articles paraît-il en 2013…). On travaille donc en confiance et entre professionnels. Il est étonnant de voir à quel point le texte de CCA, traduit très fidèlement, n’a pas été altéré par le processus de révision. Il est pourtant courant que le processus de révision amène une réécriture complète de des passages entiers, notamment des justifications, et des conclusions parce qu’un idiot de réviseur ne les a pas compris. Mais dans ce cas, les réviseurs ont dû implicitement être convaincus par la qualité de l’article de CCA puisqu’ils n’ont rien trouvé à y redire…

À moins que le processus de révision ne soit pas aussi rigoureux que ce que l’on pourrait attendre d’une revue de rang 3 CNRS… Enfin, la revue a accepté de, non pas retirer l’article, mais d’en produire une version où les passages incriminés seraient réécrits. Chacun appréciera le sérieux de cette procédure. Ah ces Français ! Toujours en train de tricher ? Eh bien non, nous ne sommes pas les seuls. À l’international, on rencontre aussi des cas intéressant ; tapez par exemple le nom de la King Abdulaziz University. La prouesse de figurer ainsi dans de tels ranking prestigieux doit bien sûr s’accompagner d’une complète professionnalisation de l’écriture, et pas uniquement d’une politique de « recrutement » scientifique pour le moins douteuse. Rappelons aussi qu’il existe – il est vrai plutôt dans les sciences dites « dures » – des générateurs de faux articles scientifiques, et qui parfois arrivent même jusqu’à la publication ! Il peut alors s’avérer préférable de s’équiper de tels logiciels de génération automatique d’articles scientifiques, qui permettent au moins grâce à la randomisation du processus d’écriture d’éviter le plagiat.

Du coup, nous nous demandons à CCA, s’il ne faut pas s’inspirer du Journal of Universal Rejection afin de limiter les dégâts d’un développement scientifique débridé ?

Bref, nous avons encore beaucoup à apprendre."