Salade mêlée de saison 

 

Parution 11.04.2016 - Lettre 67

Le cas ci-dessous est significatif des confusions qui peuvent se produire quand il y a interférence entre responsabilités des acteurs individuels et collectifs et lorsque l'ordre juridique est appelé en renfort de l'ordre académique.

Pour éviter une telle "salade mêlée", nous vous proposons de changer votre niveau d'appréhension de la situation et suivre notre tableau didactique en deux colonnes.

Ce tableau distingue : 1/ la chronologie d'intervention des "acteurs" et 2/ la réponse de "l'ordre" concerné.

L'exercice n'est pas aisé pour qui ne le pratique pas au quotidien et est de surcroît pris dans les rets d'une logique interactionniste. 

Nous allons donc parler ici de :

L'ordre académique qui a pour acteurs : plagieur, plagié, jury de thèse, directeurs de thèse, université...

L'ordre juridique qui a pour acteurs : service juridique des établissements, avocats, tribunaux de grande instance...

• L'ordre administratif qui a pour acteurs : organes administratifs, entités décernant les qualifications professionnelles (ex. le CNU en France)...

• L'ordre médiatique qui a pour acteurs : journaux publics, blogs, télévision...

• L'ordre éditorial qui a pour acteurs : directeurs de revues scientifiques, lecteurs, rédacteurs en chef, directeurs de collections, éditeurs de livres...

 

Les acteurs : chronologie des faits

Les "ordres" concernés

1) Acteur : la présumée victime de plagiat

a • AB reçoit pour examen un livre proposé par CD à une grande maison d'édition. AB reconnait une partie de son travail.

b • AB constitue un dossier de preuves factuelles, comme nous le préconisons, et informe en retour l'éditeur de ses réserves quant à la publication de l'ouvrage de CD.

c • AB écrit directement à CD pour l'informer qu'il a découvert des plagiats dans son texte et a donné un avis négatif pour publication en l'état. Le ton est précis, moralisateur.

 

d • Comme CD nie les faits, AB mène une enquête, et quelques jours après écrit directement aux deux directeurs de la thèse de CD (thèse en cotutelle sur deux pays différents) pour détailler les faits et ajoutant détenir la preuve que la phase terrain avait été escamotée.


e • AB de son propre chef écrit à nouveau aux deux directeurs de thèse de CD de ce qu'il a découvert et informe de son action

1) Réponse de l'ordre académique

a • Procédure habituelle dans le métier de l'édition.


b • Les propos de AB sont mesurés et adaptés à la situation.

 

c • Erreur ! Nous avons dit et répété de ne jamais informer personnellement des présumés tricheurs. Qu'espérait donc AB ? Qu'il s'excuserait ? Il lui aurait fallu lire notre vade-mecum du plagié.

 

d • Qu'espérait  ici encore AB ? Qu'ils lui diraient "merci" ? Le directeur du laboratoire de rattachement de AB est parfaitement informé de nos dispositifs pour pacifier les communautés. Il aurait dû lui conseiller de ne pas faire "cavalier seul" et de nous contacter pour avoir notre avis.

 

e • Comment se fait-il que l'établissement de AB n'ait pas mis en place un dispositif d'enregistrement des plaintes, que ce soit celles de ses collaborateurs comme celles à l'encontre de ses collaborateurs ?

2) Acteur : la présumée victime de plagiat

a • AB s'adresse au service juridique de son université pour demander conseil.


• AB n'écoute pas le service juridique qui lui demande de porter plainte pour contrefaçon en justice.

2) Réponse de l'ordre juridique

a • Comportement normal. S'il advenait une contre-attaque, la protection juridique s'applique dans ce pays à ses fonctionnaires. Les frais juridiques y sont donc pris en charge.


b • Bien vu. AB est une personne individuelle et le cas est un cas académique. Le réduire à de la contrefaçon est inopérant.

3) Acteur : la présumée victime de plagiat

a • AB écoute le service juridique en informant le CNU, organe qui décerne les titres de "Maître de conférences" en France.


3) Réponse de l'ordre administratif

a • Pourquoi demander à AB de dénoncer lui-même le problème ? En effet, si CD est qualifié sur la base d'un écrit litigieux, alors c'est l'Université dans son ensemble qui est "victime" de la fraude non sanctionnée. 

C'était donc au Président de l'université de AB d'informer le CNU.

De nombreux présidents - dont celui-ci - ont de la difficulté à distinguer l'ordre académique de l'ordre juridique, donc à trouver leur juste rôle dans des cas de plagiat et de fraude scientifique.

4) Acteur : l'éditeur du livre proposé

a • Recevant le rapport de AB, il décide de ne pas publier le livre de CD.

b • Il communique à CD le rapport de AB et les informations reçues de AB, mais semble-t-il, sans lui demander sa version des faits.

 




c • Il évoque auprès de CD l'existence d'un comité éditorial qui aurait examiné les éléments. CD contestera, croyant davantage à d'une décision intéressée qui va dans le sens de AB, en meilleure position dans la hiérarchie universitaire que lui.

4) Réponse de l'ordre éditorial

a • Réaction normale selon l'ordre éditorial.

b • Réaction normale selon l'ordre éditorial. On ne rejette pas un livre ou un article sur une déclaration, une fois un article ou livre publié. Il faut écouter les deux versions des faits, avant de procéder à une rétractaion éventuelle. Mais ici, la décision d'accepter ou rejeter un ouvrage relèvait du seul arbitrage du Comité éditorial.


c • Il faudrait que la clause de "non-plagiat" figure dans tout contrat, précisant que les mises au pilon sont à la charge des plagieurs. Il faudrait aussi que le dispositif d'analyse des plaintes figure explicitement dans les communications aux auteurs et sur le site web de l'éditeur.

5)  Acteur : le juriste de l'université de AB

a • Il relit les courriers de AB afin de s'assurer de leur pondération.

 

b • Il conseille à AB de porter plainte en justice pour contrefaçon.

 

 

c • Il conseille à AB d'écrire au CNU pour dénoncer CD. Le CNU n'a aucun pourvoir de sanction (retrait de thèses par exemple), mais c'est lui qui qualifie les personne à des grades universitaires.

5) Réponse de l'ordre juridique

a • Les services juridiques font ici un travail d'appui convenable et rare, car ces services juridiques sont toujours sous-dimensionnés.

b • Erreur ! Pourquoi veulent-ils sortir de l'ordre académique reconnaissant ainsi sa fragilité ? Nous savons - si nous le voulons -  mettre en place et utiliser de véritables dispositifs académiques de gestion de ces cas ayant pour objet de pacifier les communautés.

c • Erreur ! Pourquoi mettent-ils en danger AB en lui faisant porter seul, en tant que personne, les risques alors que la "victime", s'il y a fraude, est le système universitaire dans son ensemble ? AB n'a-t-il pas assez de stress sans lui en ajouter ?

6) Acteurs : les universités ayant délivré la thèse de CD

a • Elles sont dans deux pays différents.

 

 

 

b • Il y a donc deux "directeurs de thèse".

 

 

c • Ces deux universités ont été plusieurs fois citées par l'ordre médiatique (journaux et blogs) pour des affaires de plagiat.

 


d • Depuis douze ans que nous recevons des demandes d'analyse de la part de particuliers ou d'établissements, ces deux universités ont nettement plus souvent été prises à partie que d'autres.


e • L'une des universités a reçu CD et écouté sa version car un nouveau règlement (depuis 2 ans) précise le dispositif de traitement des cas de manquement à l'intégrité. Le directeur de thèse a aussi été entendu. 

f • Aucune des deux autres universités impliquées (celle de AB et la seconde de CD) n'ont de tels dispositifs ou simplement de "responsables de l'intégrité académique".

6) Réponse de l'ordre académique

a • Nous traitons de nombreux cas qui sont dans cette situation, qui complique les dispositifs (ex. en Italie, impossible d'annuler une thèse, en Suisse c'est assez aisé, en France cela demande une grande détermination des présidents qui doivent eux-mêmes porter plainte, etc.).


b • Les thèses à "double tête" favorisent les situations de "double négligence". Qui contrôle quoi ? Ici encore deux directeurs de thèse sont solidaires même en cas de problème.


c • Le gouvernement de ce pays va-t-il sanctionner financièrement les établissements "vedettes" en la matière ? Faut-il que nous écrivions des "Panama Gate" pour être entendus ?


d • Statistiquement nous ne pouvons l'affirmer, mais cette récurrence est gênante. Rappelons que les attitudes laxes de certains des collaborateurs mettent entre 3 et 5 ans à se résorber après la mise en place de protocoles clairs.

e • C'est logique. Il est indispensable d'écouter les personnes impliquées dans ce type d'affaires. 

 

f • Il est temps que ces établissements mettent en place de véritables dispositifs d'enregistrement et de traitement des cas de plagiat et de fraude. Chacun devrait savoir à qui adresser une information pour plagiat ou fraude en étant assuré de l'anonymat de sa démarche. S'ils l'avaient fait, AB aurait pu en toute confiance s'adresser à eux.

7) Acteur : le présumé plagieur

a • Il dit avoir effectué un relevé de terrain et pourtant le responsable de ce terrain n'en a aucune trace, alors que le passage de AB (qui revendique être à l'origine des données) est inscrit dans ses registres. 

 


b • Il considère que les dés étaient jetés d'avance, car l'université où il a été entendu ne voulait pas d'ennuis avec l'ordre médiatique ayant déjà eu des cas très médiatisés.

 


c • Il a accepté d'être le "sujet principal" de la lettre de l'avocat mandaté par ses deux directeurs de thèse. Ce, même si c'est clairement la réputation de ces derniers qui est évoquée.

 

7) Réponse de l'ordre académique

a • Nous n'avons aucun élément infirmant ou corroborant cela, puisque aucun des deux établissements ayant délivré la thèse n'ont de véritable dispositif de traitement des cas. Nous ne pouvons que leur recommander de tenter d'obtenir le Label Anti-plagiat de la SGS dont les modalités d'obtention sont explicites.

b • C'est juste : la crainte de faire encore la une des journaux y est grande et cette appréhension pèse automatiquement sur l'analyse objective des faits. Sauf quand on procède par expertise externe comme nous le préconisons. Voir nos propositions d'expertise.

 

c • Erreur ! Il y avait un autre choix.

- Il pouvait affirmer qu'il avait été mal encadré et que l'on ne lui avait jamais indiqué les risques d'une conduite déviante.  Car, au moment où sa thèse a été rédigée, il n'y avait pas de règlement sur le plagiat, ni d'Ecole doctorale et donc toute l'information devait provenir des directeurs de thèse. 

 - Il pouvait aussi s'excuser auprès de AB. Il pouvait également demander de reprendre sa thèse et d'apporter les modifications appropriées. Attetion toutefois à respecter les délais (n.b. pour la France c'est au plus tard 3 mois après soutenance).

 - Il pouvait, donc, prendre son destin en main, car personne n'est "irrécupérable". Au contraire, nous avons aidé de nombreuses personnes qui ont payé trop cher une faute académique.

8) Acteur : les deux directeurs de thèse de CD

a • Les deux directeurs de cette thèse sont des personnalités importantes dans leurs disciplines.

b • Se faisant sermonner par leurs établissements respectifs, ils prennent un avocat pour défendre leur réputation.

c • Ils fournissent à leur avocat les courriers reçus strictement par le circuit professionnel.

 

d • Ils associent CD à leur démarche, mais l'essentiel de l'argumentation de l'avocat sera que l'affaire risque de discréditer leur professionnalisme.

8) Réponse de l'ordre académique

a • Le mandarinat ne contraint en rien à la fuite en avant.


b • Donc, ils renient l'évaluation de l'ordre académique et appellent l'ordre juridique à leur secours.

c • Les menaces n'auront aucun effet, car il est évident que l'ordre juridique conclura à la "bonne foi" de AB, si ce n'est directement à l"exception de vérité". Lire notre annexe sur l'ordre juridique pour tout savoir.


d • Ce n'est pas bien aimable pour CD, car si l'affaire va réellement en justice, CD risque d'avoir aussi de fortes indemnités à payer à AB.

9) Acteur  : l'avocat des directeurs de thèse et de CD

a • Son argumentaire porte sur des lettres et des mails 100% issus du circuit professionnel, donc il semble difficile d'évoquer la diffamation.

 

b • Il attaque le mail précis écrit par AB aux deux directeurs de thèse et évoque l'article 29 de la loi de 1881.

 

 

c • Il évoque l'article L.335-2 du code de propriété intellectuelle en rappelant que la peine peut être de 300'000 euros d'amende.

 

 

 

d • Il évoque que les directeurs ont suivi et orienté la thèse de CD tout au long de son parcours.


e • Il exige que AB retire ses propos sous huitaine sinon des mesures seront prises à son encontre.

 

9) Réponse de l'ordre juridique

a • Les propos de AB se trouvent être étayés par des faits, une analyse et des solutions envisagées. Les propos sont simples, jamais dirigés contre CD, mais tenant compte des conséquences des faits observés.

b • Ce mail  est pondéré (l'inverse est une des "preuves" de diffamation), précise que AB ne porte pas plainte contre CD (pour demander une sanction pénale) et se réfère à la déontologie professionnelle (et non à la personne de CD). Même un juriste débutant leur dirait que cela déboulonne point par point les indices éventuels de la loi sur la "diffamation".

c • C'est illogique : cette loi ne concerne pas les conséquences du plagiat dans notre ordre académique. Ramener toujours ces cas à la contrefaçon et à la propriété intellectuelle est extrêmement réductionniste : cela conduit à ne prendre en compte qu'une victime. Merci de lire nos 10 conséquences du comportement plagiaire.

 

d • Donc, ces deux directeurs reconnaissent leur solidarité. Si AB porte maintenant plainte, l'ordre médiatique s'en donnera à coeur joie.

 

e • Ces menaces sont coutumières en la matière. Si toutes les personnes qui nous ont menacés de procès en diffamation avaient gagné, il y a bien longtemps que ce site n'existerait plus. En deux mots : faites votre devoir académique et n'ayez pas peur.

10) Acteur : nous-mêmes !

a • L'avocat des deux directeurs de la thèse et de son rédacteur a envoyé sa mise en demeure aux personnes ayant eu connaissance des propos de AB.

b • Or, ce ne sont pas des personnes privées qui ont reçu ladite lettre, mais des "acteurs" des différents processus qui en ont donc informé leurs unités de rattachement. Ce qui fait qu'une centaine de personnes doit actuellement avoir connaissance de cette mise en demeure.


c • La situation est tellement caractéristique des tentatives d'intimidation à l'encontre de ceux qui réclament des dispositifs sains de traitement des cas de fraude et de plagiat, que nous choisissons d'en faire un cas anonymisé. 

10) Réponse de l'ordre médiatique

a • En choisissant de faire circuler ainsi leur mise en demeure, les avocats ont rendu un bien mauvais service aux personnes concernées. Nous sommes un univers où tout finit toujours par se savoir...

b •  Même si ce site collaboratif est avant tout un instrument de recherche - de cette "recherche-interaction" que nous pratiquons depuis 12 ans -  la loi reste imprécise et nous relevons, au plan juridique, de cette fameuse loi de 1881. Merci de lire l'annexe juridique de notre ouvrage Le plagiat académique pour comprendre que nous ne risquons rien.

c • Par contre, nous ne communiquerons pas les éléments qui ont été portés à notre connaissance (par diverses sources) aux médias classiques (journaux, radio, TV), car leur rôle est d'informer le public de situations non traitées. 

 

A suivre

a • Nous n'avons pas trouvé la thèse en ligne dans les archives ouvertes de l'une des universités et seul le résumé figure sur le site national officiel du second pays.

A suivre

a • Impossible de savoir si les "ordres" mobilisés ont retrouvé leur sérénité et s'il y aura, in fine, pacification des communautés.